Publicité numérique au Maroc : le Maroc veut reprendre le contrôle du marché en ligne

Publicité numérique au Maroc

1. Introduction

Depuis quelques années, la publicité numérique est devenue la colonne vertébrale du marketing moderne. Les entreprises marocaines, qu’elles soient grandes ou petites, investissent de plus en plus dans les campagnes digitales : annonces sponsorisées, bannières, vidéos, réseaux sociaux, moteurs de recherche, influence marketing…
Mais derrière cette apparente vitalité se cache une réalité préoccupante : une part écrasante des revenus publicitaires numériques échappe à l’économie marocaine.

Les géants mondiaux de la tech — principalement Google, Meta, YouTube ou TikTok — captent la majorité des investissements publicitaires en ligne. Face à ce constat, le Maroc affiche aujourd’hui sa volonté claire de reprendre le contrôle de son marché publicitaire numérique.

Ce mouvement n’est pas qu’économique : il traduit une aspiration à la souveraineté numérique, à la valorisation du contenu local et à la protection des recettes nationales.

2. L’état du marché de la publicité numérique au Maroc

2.1 Une croissance spectaculaire du digital

Le Maroc a connu une explosion du digital ces dernières années. Avec un taux de pénétration Internet dépassant les 100 % et une population connectée jeune et active, le pays s’impose comme un acteur dynamique du numérique en Afrique du Nord.
Les consommateurs marocains passent plusieurs heures par jour sur les réseaux sociaux, les plateformes vidéo ou les sites d’actualité. Naturellement, les annonceurs ont transféré leurs budgets publicitaires vers ces canaux.

Les dépenses publicitaires digitales connaissent une croissance annuelle estimée à plus de 20 %, confirmant que la transformation numérique du marketing marocain est bien en marche.

2.2 Le digital dépasse les médias traditionnels

Il y a encore une décennie, la télévision et la presse écrite concentraient la majorité des budgets publicitaires. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Les annonceurs préfèrent la publicité en ligne, plus mesurable et plus ciblée.
Cependant, cette migration budgétaire ne profite pas équitablement aux acteurs marocains : les médias locaux reçoivent une portion marginale des investissements digitaux.

2.3 Une dépendance aux plateformes étrangères

Les estimations du secteur indiquent que près de 80 % des recettes publicitaires numériques sont captées par les grandes plateformes internationales. Autrement dit, la majorité de l’argent dépensé par les entreprises marocaines en publicité digitale quitte le pays.
Cette situation prive les médias, agences et régies marocaines de ressources essentielles à leur développement. Elle accentue aussi la dépendance du pays vis-à-vis d’algorithmes et de données hébergées à l’étranger.

2.4 Conséquences économiques et culturelles

Cette fuite de valeur a plusieurs conséquences :

  • Affaiblissement des médias marocains : moins de ressources publicitaires signifie moins d’investissement dans le journalisme, la création et la technologie.

  • Perte d’indépendance économique : la dépendance aux géants du numérique fragilise l’écosystème médiatique local.

  • Uniformisation culturelle : les contenus sponsorisés étrangers dominent les timelines, au détriment des marques et créateurs marocains.

  • Manque de mesure nationale : l’absence d’outils marocains pour mesurer l’audience digitale empêche d’évaluer réellement la portée locale des campagnes.

3. Pourquoi le Maroc veut reprendre le contrôle

3.1 Un enjeu de souveraineté numérique

Reprendre le contrôle du marché publicitaire digital, c’est avant tout reprendre la maîtrise des données, des flux financiers et des outils technologiques.
La publicité n’est pas qu’une question économique : elle conditionne l’accès à la visibilité, l’influence et la compétitivité des entreprises locales. En laissant les plateformes étrangères régner sans contre-poids, le Maroc perd une part de sa souveraineté numérique.

3.2 Préserver la valeur économique locale

Chaque dirham investi par une entreprise marocaine dans les publicités de Google ou Meta alimente des circuits économiques extérieurs.
Reprendre le contrôle signifie retenir une part plus importante de cette valeur sur le territoire national : rémunérer les agences marocaines, financer les médias locaux, développer les talents et les technologies nationales.

3.3 Soutenir les créateurs et les régies marocaines

Une politique publique forte pourrait encourager la création de régies locales performantes, capables d’offrir des solutions publicitaires digitales compétitives.
Ces structures pourraient s’appuyer sur les médias marocains, les plateformes locales, les influenceurs nationaux et les données de navigation internes au pays.

3.4 Diversifier les canaux publicitaires

Aujourd’hui, la quasi-totalité des campagnes passent par les mêmes canaux : Google Ads, Meta Ads, TikTok ou YouTube.
Favoriser des plateformes alternatives locales ou régionales, c’est aussi créer de la concurrence et améliorer la transparence des coûts.

4. Les défis et obstacles à surmonter

4.1 Un cadre juridique encore inadapté

Le premier défi réside dans le manque de régulation spécifique à la publicité numérique.
Le Maroc dispose d’une législation encadrant la publicité traditionnelle, mais le digital évolue beaucoup plus vite que le droit. Les questions de fiscalité, de protection des données et de transparence sont encore floues.

Il devient urgent d’actualiser ce cadre légal afin de mieux réguler les flux financiers publicitaires, notamment ceux transitant vers l’étranger.

4.2 L’absence d’outils techniques nationaux

Aucune infrastructure nationale ne mesure actuellement l’audience digitale des sites et plateformes marocains de manière unifiée.
Les annonceurs se basent sur les outils étrangers pour évaluer leurs performances publicitaires, ce qui limite la visibilité des médias locaux.

4.3 Le manque de compétences spécialisées

La publicité numérique repose sur des technologies complexes : algorithmes d’enchères, plateformes DSP/SSP, intelligence artificielle, data analytics…
Le Maroc dispose d’un vivier de jeunes talents, mais les formations techniques spécialisées en ad-tech restent encore rares. Le pays doit investir dans la formation et la recherche appliquée pour bâtir sa souveraineté digitale.

4.4 La puissance des géants du numérique

Les plateformes internationales possèdent des moyens technologiques colossaux, une domination mondiale et une capacité d’innovation constante.
Il est difficile de rivaliser avec leur efficacité, leur précision de ciblage et leur capacité à mesurer le retour sur investissement.
Pour inverser la tendance, les solutions marocaines doivent se distinguer par la proximité, la transparence et l’adaptation culturelle.

4.5 Le scepticisme des annonceurs

Les entreprises marocaines privilégient les solutions « sûres », rapides et mesurables. Si une régie locale ne garantit pas la même performance que Google ou Meta, elles risquent de rester fidèles aux géants existants.
Il faut donc bâtir la confiance à travers des outils fiables, des résultats transparents et des coûts compétitifs.

5. Les mesures et initiatives en cours

5.1 Les Assises nationales de la publicité

Les Assises de la publicité tenues à Casablanca en octobre 2025 ont marqué un tournant historique.
Elles ont réuni les acteurs majeurs du secteur : médias, annonceurs, régies, associations professionnelles et pouvoirs publics.
L’objectif principal : repenser le modèle publicitaire national à l’ère numérique et créer une feuille de route pour reprendre le contrôle du marché.

5.2 Création d’un Observatoire national de la publicité

Une des grandes recommandations issues de ces assises est la mise en place d’un Observatoire national chargé de suivre les flux publicitaires numériques :

  • Évaluer la répartition des investissements

  • Identifier les pertes économiques liées à l’externalisation

  • Publier des indicateurs réguliers sur la transparence du marché

5.3 Réforme fiscale et réglementaire

Pour rééquilibrer le marché, le Maroc envisage de moderniser la fiscalité du numérique :

  • Encourager les investissements publicitaires locaux par des incitations

  • Taxer les revenus publicitaires exportés

  • Obliger les plateformes étrangères à plus de transparence sur leurs activités au Maroc

5.4 Création d’une régie digitale nationale

Une autre piste étudiée est la création d’une régie numérique nationale, publique ou mixte, capable de centraliser une partie de la demande publicitaire et d’offrir aux annonceurs des solutions marocaines de ciblage, de mesure et de diffusion.

5.5 Soutien aux médias locaux

L’État envisage également de renforcer les aides à la presse et aux médias digitaux, en favorisant les campagnes publicitaires nationales sur les plateformes marocaines.
Des partenariats public-privé pourraient être lancés pour financer la transformation numérique des rédactions et régies.

6. Bonnes pratiques et leçons internationales

De nombreux pays ont déjà engagé des démarches similaires pour limiter la domination des géants du numérique sur leur marché publicitaire.
Certains ont instauré des taxes locales sur les revenus publicitaires numériques, d’autres ont créé des alliances nationales de médias pour mutualiser la vente d’espaces publicitaires.

Le Maroc peut s’inspirer de ces expériences tout en adaptant son modèle à ses réalités économiques et culturelles :

  • Développer des partenariats régionaux africains pour créer des réseaux publicitaires interconnectés.

  • Promouvoir les contenus locaux à travers des quotas dans les campagnes publiques.

  • Mettre en place des standards éthiques et techniques marocains pour les données publicitaires.

7. Perspectives et scénarios possibles

7.1 Scénario optimiste

Le Maroc met en œuvre ses réformes, crée une régie digitale performante et capte progressivement une part importante des budgets publicitaires.
Les médias locaux retrouvent leur rentabilité et les annonceurs font confiance aux solutions marocaines.

7.2 Scénario réaliste

Le pays parvient à instaurer une cohabitation équilibrée entre les géants étrangers et les acteurs locaux.
Les plateformes internationales continuent d’opérer, mais une portion significative du marché reste dans le giron national.

7.3 Scénario pessimiste

Les réformes tardent à se concrétiser, la dépendance s’accentue et les médias marocains perdent encore plus de parts de marché.
Les recettes publicitaires continuent de fuir, freinant le développement d’une économie numérique souveraine.

7.4 Indicateurs de succès
  • Taux de part de marché des régies marocaines

  • Volume des investissements publicitaires retenus au Maroc

  • Nombre d’annonceurs locaux utilisant des plateformes nationales

  • Croissance des médias digitaux marocains

  • Niveau de transparence et d’audience mesuré localement

8. Conclusion

Reprendre le contrôle du marché publicitaire numérique est une priorité stratégique pour le Maroc.
Il s’agit d’un enjeu économique, technologique, culturel et souverain.

Pour réussir, le pays doit :

  1. Réformer son cadre juridique et fiscal pour adapter la publicité au digital.

  2. Créer une régie nationale capable de concurrencer les plateformes internationales.

  3. Mettre en place un Observatoire national garantissant la transparence des flux.

  4. Investir dans la formation et les technologies locales (IA, data, tracking, analytics).

  5. Encourager les entreprises et annonceurs marocains à soutenir les médias nationaux.

  6. Promouvoir un environnement collaboratif entre État, régies, agences et médias.

La publicité numérique est le miroir d’une économie moderne.
En reprenant le contrôle de ce secteur, le Maroc ne cherche pas à s’isoler, mais à construire un modèle équitable, durable et souverain, où les valeurs locales, la créativité et l’innovation marocaines retrouvent toute leur place dans le monde digital.