Loi sur l’IA au Maroc : un projet de loi pour encadrer l’intelligence artificielle

Loi sur l’IA au Maroc

1. Introduction

À l’échelle mondiale, l’intelligence artificielle (IA) connaît un essor fulgurant. Elle transforme les secteurs économique, social, sanitaire, éducatif, judiciaire et bien d’autres encore. À mesure que les modèles d’IA deviennent plus puissants, les usages plus sophistiqués et les risques plus visibles, de nombreux États réfléchissent à des cadres légaux, des lois-cadre et des régulations spécifiques pour guider ce développement.

Au Maroc, l’IA n’est plus perçue comme une technologie lointaine ou futuriste. Elle est au cœur de la stratégie de développement national, du renforcement du numérique dans les administrations et des ambitions liées à « Maroc Digital 2030 ». Dans ce contexte, la mise en place d’un projet de loi sur l’IA apparaît comme un passage obligé afin de concilier innovation, éthique, respect des droits et protection des citoyens.

Ce projet de loi, annoncé officiellement, vise à encadrer l’usage de l’IA au Maroc à plusieurs niveaux : principes fondamentaux, obligations de conformité, garanties légales, gouvernance, supervision. Cet article retrace les origines de ce projet, les enjeux, les défis, les mesures envisagées, les comparaisons internationales, les perspectives et les recommandations pour un encadrement réussi.

2. Origine et portée du projet de loi

Le projet de loi sur l’IA est issu d’un travail concerté entre différentes institutions marocaines : ministères en charge de la Transition numérique, de la Justice, de l’Administration, ainsi que la Commission Nationale de Contrôle de la Protection des Données à Caractère Personnel (CNDP), la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information (DGSSI) et d’autres instances concernées.

Son ambition est de développer une loi-cadre, c’est-à-dire un texte législatif de haut niveau définissant les principes directeurs, les obligations générales, les mécanismes de supervision et les composantes institutionnelles nécessaires pour réguler l’IA. Le projet ne se limite pas à un secteur : il entend couvrir les utilisations publiques et privées, dans les administrations, les entreprises, la recherche, les services numériques, les plateformes, etc.

Parmi les objectifs prioritaires annoncés : garantir une utilisation responsable et éthique de l’IA, assurer la transparence des systèmes algorithmiques, protéger la vie privée des citoyens, renforcer la sécurité des infrastructures numériques, prévenir les biais ou discriminations automatiques, promouvoir l’innovation locale, et adapter le cadre légal marocain aux standards internationaux.

3. Principes fondamentaux attendus dans la loi

Plusieurs principes structurants se dégagent des déclarations des autorités et des experts impliqués dans l’élaboration du projet de loi :

  • Transparence algorithmique : obligation que les algorithmes utilisés, notamment dans les secteurs sensibles, soient documentés, audités et expliquables. La traçabilité des décisions automatisées et le droit à l’explication pour les personnes affectées sont des composantes essentielles.

  • Responsabilité et imputabilité : il doit être clairement défini qui est responsable du comportement d’un système d’IA — l’entreprise qui le développe, celle qui le déploie, l’administration qui l’utilise. La responsabilité juridique doit pouvoir être engagée en cas de dommage, de violation de droits ou de décisions erronées.

  • Respect des droits fondamentaux : vie privée, protection des données personnelles, dignité humaine et non-discrimination sont des droits à protéger. Le projet de loi doit prévoir des garanties pour éviter les biais (sexistes, raciaux, économiques, etc.), les usages intrusifs ou la surveillance disproportionnée.

  • Sécurité, fiabilité et robustesse : les systèmes d’IA doivent satisfaire à des standards de sécurité élevés, être testés, soumis à des scénarios adverses, résister aux attaques, garantir la fiabilité dans le temps, limiter les erreurs, etc.

  • Éthique et valeurs morales : intégration des valeurs éthiques marocaines, des principes universels (transparence, justice, équité), et alignement avec les engagements internationaux du Maroc dans ce domaine.

  • Gouvernance nationale : mise en place d’institutions dédiées — agence ou autorité IA, comités techniques, ressources humaines spécialisées, mécanismes de supervision, de coordination interinstitutionnelle.

4. Cadres juridiques existants et leurs limites

Même si le texte sur l’IA est en cours d’élaboration, le Maroc dispose déjà de cadres légaux liés, qui constituent une base importante mais insuffisante seuls :

  • La loi 09-08 relative à la protection des données personnelles, qui impose des obligations de consentement, de sécurité, de déclaration auprès de la CNDP, de droits d’accès, de rectification. Ce texte reste central pour la vie privée mais ne couvre pas certaines spécificités de l’IA (apprentissage automatique, traitement automatisé à grande échelle, algorithmes propriétaires).

  • D’autres textes en matière de cybersécurité, de gouvernance numérique, de réforme administrative ou de transition numérique complètent le dispositif légal existant, mais souvent sans être directement conçus pour les défis uniques de l’IA.

  • Les limites sont visibles : les textes actuels ne prévoient pas nécessairement des obligations de transparence algorithmique, des audits externes d’algorithmes, des mécanismes de contrôle de biais, ni des sanctions claires pour les usages abusifs ou les décisions automatisées non justifiées.

5. Défis techniques, institutionnels et sociétaux

La mise en œuvre d’une loi ambitieuse sur l’IA au Maroc devra affronter plusieurs défis :

5.1 Capacité technique et scientifique nationale

Il est crucial que le pays dispose des compétences nécessaires : ingénierie de l’IA, data scientists, spécialistes en éthique numérique, mathématiciens appliqués, juristes, experts en protection des données. La formation académique et professionnelle doit être renforcée, les centres de recherche mieux financés.

5.2 Infrastructure des données et standards

Les systèmes d’IA nécessitent des données de bonne qualité, des infrastructures de stockage fiables, et des normes techniques pour interopérer, assurer la sécurité, respecter la confidentialité. Sans cela, risque de fragmentation, de faiblesse technique, d’inefficacité.

5.3 Acceptation sociale, confiance des citoyens

Les citoyens doivent avoir confiance dans les systèmes automatisés, comprendre comment sont prises les décisions, pouvoir contester, obtenir des explications. Le risque de méfiance, d’incompréhension, de peur de surveillance ou de perte d’emploi existe et doit être pris en compte.

5.4 Risques d’abus : biais, discriminations, surveillance

Les algorithmes peuvent reproduire ou amplifier des biais existants dans les données. Des systèmes de reconnaissance faciale mal régulés, des décisions automatisées dans la santé ou le recrutement peuvent entraîner des discriminations. Le projet de loi devra prévoir des mécanismes de contrôle, des audits, des recours pour les victimes.

5.5 Compatibilité internationale

Le Maroc doit aligner sa législation avec les bonnes pratiques internationales : UNESCO, standards européens, recommandations des organismes internationaux. Cela facilitera la coopération, favorise l’investissement, évite l’isolement, permet l’exportation de solutions locales.

6. Initiatives en cours et mesures envisagées

Plusieurs actions et annonces récentes montrent que le projet de loi ne naît pas dans le vide mais s’inscrit dans un mouvement plus large :

  • Les Assises nationales de l’IA ont été l’occasion de réunir experts, institutions, secteur privé et société civile pour débattre des principes, des usages et des enjeux de l’intelligence artificielle.

  • Le ministère chargé de la Transition numérique a affirmé que l’IA est désormais intégrée dans les stratégies nationales, non plus comme une hypothèse lointaine, mais comme une réalité concrète à encadrer.

  • Un projet de plateforme nationale d’IA adaptée aux spécificités culturelles, linguistiques et juridiques nationales est en cours de développement, en partenariat entre le ministère compétent et la CNDP, pour offrir des outils d’IA générative respectueux des droits fondamentaux et de la culture locale.

  • Il est également envisagé de créer ou de désigner une agence nationale dédiée à l’intelligence artificielle, chargée de la gouvernance, de la supervision, de la régulation, du suivi des normes, de la labellisation ou certification des systèmes, et d’assurer le respect des obligations légales.

  • Le projet de loi-cadre prévoit des obligations de conformité, des audits techniques et des obligations de responsabilité pour les opérateurs publics et privés, ainsi que des garanties éthiques.

  • Des centres d’excellence ou hubs régionaux (réseaux de recherche, universités, startups) seront encouragés pour créer une innovation locale, rapprocher le monde académique, le secteur privé et les citoyens.

7. Comparaisons internationales et leçons

Le Maroc peut s’inspirer d’expériences réussies à l’étranger :

  • Dans plusieurs pays européens, les réglementations sur l’IA comportent une catégorisation des usages selon le degré de risque : usages à risque élevé soumis à des contrôles stricts, usages à faible risque davantage de liberté.

  • Le recours obligatoire à des audits indépendants pour les algorithmes ou modèles importants, pour garantir qu’ils ne violent pas les normes d’équité ou ne présentent pas de biais discriminatoires.

  • L’adoption de normes d’explicabilité des décisions automatisées, permettant à une personne touchée de comprendre pourquoi une décision a été prise.

  • La mise en place de sanctions effectives en cas de non-respect des obligations, ainsi que des mécanismes de recours pour les personnes lésées.

  • L’importance d’un dialogue multipartite incluant pouvoirs publics, société civile, universitaires, secteur privé, associations de défense des droits pour construire la légitimité du cadre légal.

8. Perspectives et scénarios d’application

Scénario optimiste

Le projet de loi est adopté rapidement, traduit en réglementations sectorielles précises, l’agence nationale est mise en place, les institutions sont dotées en compétences et ressources, les plateformes nationales se développent. Le Maroc réussit à devenir un modèle régional pour une IA éthique, responsable et tournée vers le développement durable.

Scénario intermédiaire

Le texte de loi cadre est adopté, mais sa mise en œuvre est progressive. Certaines obligations restent floues. Les usages publics sont mieux encadrés que certains usages privés. L’innovation dans les startups avance, mais les ressources restent limitées. Des interrogations persistent sur l’application concrète dans certains domaines sensibles.

Scénario critique

Le projet de loi traîne ou reste théorique. Les institutions dédiées ne sont pas suffisamment financées. Les obligations de transparence ou de responsabilité sont peu respectées. Les abus persistent. Le public reste méfiant. Le Maroc reste dépendant des normes externes.

9. Conclusion & Recommandations

Le projet de loi sur l’intelligence artificielle au Maroc marque une étape cruciale dans l’histoire numérique du Royaume. Il illustre une prise de conscience nationale : l’IA n’est pas seulement un levier de croissance, mais aussi un enjeu de droits, d’éthique, de confiance et de souveraineté.

Pour que ce projet ne reste pas lettre morte, il est recommandé :

  1. De finaliser rapidement la loi‐cadre, en veillant à ce que ses principes soient clairs, applicables, mesurables.

  2. De doter l’agence ou autorité en charge d’IA de ressources humaines, financières et techniques suffisantes.

  3. D’instituer des audits réguliers, indépendants et transparents des systèmes d’IA, spécialement dans les secteurs sensibles.

  4. De renforcer la formation dans les universités, centres de recherche, entreprises, afin de développer des compétences pluridisciplinaires en IA, éthique, droit, protection des données.

  5. D’assurer la participation de la société civile, des experts, des citoyens dans les phases de conception, de suivi et d’évaluation du cadre légal.

  6. De prévoir des sanctions dissuasives en cas de violations, mais aussi des voies de recours pour les personnes affectées.

  7. De favoriser les plateformes locales, l’innovation nationale en IA pour répondre aux spécificités culturelles, linguistiques et de souveraineté.

L’intelligence artificielle peut être un moteur du progrès au Maroc : économique, social, scientifique. Mais son adoption doit être guidée par un projet de société qui place l’humain, la justice, la transparence et la responsabilité au cœur de la révolution technologique.